Sélectionner une page

Suite aux déboires concernant la réforme du DPE, j’ai eu envie d’en savoir plus, et surtout d’aller au fond d’un sujet que j’ai trouvé peu approfondit dans les médias. J’ai contacté Denis Mora, président d’AC environnement. De cette interview il ressort un discours très franc et mesuré, et surtout l’identification des problèmes juridiques réels posés par la suspension des DPE des biens datant d’avant 1975. Des problèmes juridiques dont on peut regretter qu’ils aient été aussi peu évoqués par les pouvoirs publics lorsqu’ils ont pris cette décision brutale.

Eric Nicolier : bonjour Denis ! Pour commencer, je vais tout simplement vous demander de vous présenter auprès de ceux qui ne vous connaîtraient pas.

Denis Mora : oui, alors je suis Denis Mora. Je suis président du groupe AC Environnement qui est une entreprise spécialisée en diagnostic immobilier qui a été créée en 2002 à Roanne dans la Loire, qui compte aujourd’hui une trentaine d’agences implantées sur l’ensemble du territoire dans de grandes agglomérations, qui comprend trois laboratoires d’analyse amiante en interne. C’est aussi une SS2I qui s’occupe de développer un petit peu tout l’environnement digital du groupe, que ce soit des outils de production terrain ou les outils d’exploitation au niveau des agences, qui dispose d’une filiale qui est spécialisée dans l’exploitation de la data que nous relevons dans nos diagnostics immobiliers et qui est aussi un centre de formation qui accompagne les collaborateurs pour se former aux métiers du diagnostic immobilier. Certains rejoignent notre franchise, et d’autres basculent dans notre réseau intégré. Ou alors ils vivent leur propre aventure d’entrepreneur et créent leur cabinet de diagnostic immobilier. Voilà, globalement.

– Eric Nicolier : alors globalement… impressionnant. Je pense que vous êtes au poste d’observation idéal concernant tout ce qui se passe depuis peu de temps. Nous avons une polémique importante depuis plusieurs semaines. J’ai une question d’emblée avant que l’on aille un peu plus dans le détail. La Presse, les syndicats professionnels font état de remontées du terrain depuis cet été de DPE défaillants. Moi, j’ai toujours une interrogation quand on fait état de ce genre de choses : est-ce que l’on peut quantifier ? Est-ce qu’il y a une réalité ou est-ce qu’il y a une volonté de grossir un phénomène, en toute franchise. Selon vous ?

” Depuis janvier nous tirons la sonnette d’alarme pour dire attention ! “

Denis Mora

Denis Mora : alors non. Si je devais résumer : les remontées de terrain ne datent pas que de cet été. En fait, le DPE est obligatoire depuis 2007 et le moteur de calcul 3CL est à disposition des diagnostiqueurs immobiliers depuis 2007, soit une quinzaine d’années. Bon, c’est un moteur qui en est à sa troisième révision et comme à chaque révision, les éditeurs de logiciels que nous sommes, les professionnels aussi, ont été sollicités pour accompagner la révision de ce troisième moteur. Depuis janvier 2021, nous tirons la sonnette d’alarme pour dire attention. L’intention est extrêmement louable, la rénovation énergétique du patrimoine français est un enjeu qui est assez fort. Depuis janvier 2021, nous alertons la DHUP, le ministère de la Transition écologique que la date du 1er juillet pour la réforme du DPE ne sera pas tenable parce que nous n’avons pas de moteur de calcul fiable, nous n’avons pas de cas test pour pouvoir valider la bonne implémentation de ce moteur de calcul dans le logiciel moteur. Depuis plusieurs mois on sent une fébrilité. Il y a une volonté de l’Etat d’avancer et de tenir le calendrier. Très bien ! Mais la profession avait aussi un rôle à jouer de son côté : on a enclenché les choses en sachant très bien que la rentrée allait être compliquée.

Eric Nicolier : vous faisiez partie de ceux qui réclamaient un report de quelques mois ?

– Denis Mora : oui. L’ensemble du métier, globalement, réclamait un report de quelques mois. Il aurait été plus sensé de développer cet outil-là pour une application au 1er janvier 2022. Nous n’avons eu les outils entre les mains que le 28 juin. Il a fallu se former très vite au fur et à mesure que l’on produisait des DPE. Et ces DPE nous paraissaient être assez différents de ceux que l’on produisait avec l’ancienne version. Nous avons fait remonter systématiquement ces problèmes. Il y a eu beaucoup d’échanges via les fédérations professionnelles durant tout l’été. Jusqu’à cette décision qui a été un peu unilatérale et assez violente de la part de l’Etat de suspendre des DPE.

– Eric Nicolier : nous allons y venir… oui.

– Denis Mora : il y a eu une vraie remontée des informations. Et je dirais que, même si la colère était le premier ressenti par rapport à ce comportement de la DHUP, on a quand même eu un organisme qui a reconnu des errements et qui a pris en main un plan de redressement de la situation. Je pense que le plan de redressement est également ambitieux, mais pour autant, je pense que les voix qui sont remontées ont été entendues un peu tardivement. Mais ce qui s’est passé dans la cacophonie générale a malgré tout fait bouger les lignes.

Eric Nicolier : d’accord. Avant d’aller dans le détail, j’ai eu le sentiment néanmoins que certains profitaient de ce cafouillage pour avoir un discours qui consistait à flinguer le DPE. On sait bien, on va se parler franchement, que certains voient l’évolution du DPE d’un mauvais oeil, notamment chez certains propriétaires bailleurs. Est-ce qu’il n’y a pas eu cette tentation de l’exagération ?

– Denis Mora : alors probablement. Je dirais que dans le cas du DPE, nous, notre métier consiste à constituer un dossier technique avant chaque vente et chaque location. Le DPE fait partie des différents diagnostics comme le gaz, l’électricité, l’amiante, etc. Pour autant, c’est le diagnostic qui reste le plus lu par les utilisateurs.

– Eric Nicolier : tout à fait.

Nos conseils pour les transactions en cours

  • Ne pas décaler les transactions en cours ;
  • Continuer à éditer les DPE, y compris ceux concernant les biens d’avant 1975 ;
  • Informer en toute transparence le vendeur et l’acquéreur de cette situation transitoire ;
  • Ajouter au compromis la mention de cette situation concernant le DPE, de telle sorte que la signature du vendeur et de l’acquéreur montre qu’ils étaient informés de cette situation particulière ;
  • Fournir un DPE réactualisé si nécessaire dès que le ministère aura de nouveau communiqué, et éventuellement préconisé des adaptations.
  • – Denis Mora : les acquéreurs essaient de se projeter dans une dépense mensuelle additionnelle. Bon, c’est vrai que ce DPE a été quand même beaucoup décrédibilisé par ces tâtonnements. Il ne faut pas se cacher derrière la loi non plus. C’est-à-dire qu’en 2007 quand notre DPE est arrivé dans la profession, nous n’étions pas formés pour aller sur le domaine de l’énergie. Donc, le DPE dans les premières années a été réalisé par une profession qui n’était globalement pas opérationnelle, ce qui a donné lieu un an plus tard à la certification professionnelle obligatoire et à des obligations de formation chez les diagnostiqueurs. Mais le français a la mémoire tenace et donc, ce DPE a toujours navigué avec une espèce de goût amer pour les professions de l’immobilier en général. Je parle des agents immobiliers, des syndics de copropriété, des administrateurs de biens qui ont souvent ces documents entre les mains.

    Eric Nicolier : ah ! Je suis d’accord. Il est très souvent vu avec suspicion par une partie de la profession. C’est incroyable même.

    Denis Mora : il est lu avec beaucoup de suspicion parce qu’il y a eu aussi probablement des diagnostiqueurs qui ont parfois été sous l’influence d’agents immobiliers pour modifier des notes. Je veux dire, c’est quelque chose qui a dû se passer. On laissait beaucoup trop de latitude aux diagnostiqueurs de pouvoir influencer sur une note. La version 3 du DPE, malgré tout, demande une montée en puissance technique de la part de l’opérateur. Elle cadre beaucoup plus les choses. Elle limite quand même le champ d’influence à pouvoir modifier quelques notes. Il devient opposable ! Il est un vrai document technique qui permet d’appréhender la consommation énergétique du logement. Dès que la version 3 sera opérationnelle, le DPE deviendra un document intéressant pour tout le monde.

    Eric Nicolier : est-ce que vous êtes optimiste sur l’évolution à venir ? Est-ce que les ajustements qui ont été demandés seront opérationnels au 1er novembre ?

    ” Je pense que les ajustements qui ont été demandés pour novembre permettront de régler pas mal de cas “

    Denis Mora

    Denis Mora : alors je pense que les ajustements qui ont été demandés pour novembre permettront de régler pas mal de cas. Par contre, nous, on encourage le DHUP et le ministère de la Transition écologique de continuer la rénovation de la méthode 3 parce que c’est ce moteur de calcul là qui sera le coeur de l’audit énergétique qui va venir s’imposer à partir de janvier 2022 pour les logements qui sont extrêmement énergivores. C’est là que l’on va rentrer globalement dans le dur de l’expertise, dans la professionnalisation de l’expertise énergétique. Il faut continuer les travaux de rénovation dans les logements.

    Eric Nicolier : Oui…

    Denis Mora : on a noté des défaillances du nouveau DPE pour des biens qui sont bien au-delà de 1975. Donc, il y a une première mesure d’urgence. Je pense que le 1er novembre, globalement, on va tenir, on aura entre les mains un moteur de calcul qui corrigera globalement 80% des erreurs. Il y aura de l’ajustement avec les éditeurs de logiciels. Nous aurons une quinzaine du mois de novembre qui sera vouée à fiabiliser l’outil. Le seul sujet qui persiste, c’est surtout ce flottement juridique qui demeure jusqu’au 1er novembre.

    Eric Nicolier : juste pour introduire ma question, j’ai entendu peu de voix s’élever à ce sujet et en tout cas pointer du doigt là où il y avait un vrai problème. Vous êtes un des seuls. Finalement, il y a un vide juridique ou pas ? Il y a un problème ou pas ?

    Denis Mora : évidemment. Il y a un « cratère » juridique !

    Eric Nicolier : nous sommes bien d’accord…

    Denis Mora : de notre côté nous avons simplement dit que nous allions continuer à produire des DPE, mais en l’accompagnant d’une note d’information mettant en garde l’utilisateur, en lui rappelant qu’il y aura une possibilité de remise à jour de son DPE après le nouveau calcul. On n’arrête pas d’un seul coup un système ! On est obligé de faire preuve de beaucoup d’agilité, mais arrêter le système alors qu’on a enclenché les choses, c’est juste incohérent. Quid des notes ? Aujourd’hui, si vous voulez le vendeur qui a vendu un bien classé A à Angers et qui finalement va s’apercevoir que ce même bien sera classé D demain, on va probablement se dire qu’il a été lésé sur le prix de vente de son habitation. Et donc quand le gouvernement annonce un fond dédommagement pour le diagnostic immobilier, il concerne les diagnostiqueurs qui vont refaire des DPE. Mais je crois que la principale dépense, elle n’est pas là. Ce n’est pas la centaine d’euros qu’on va nous redonner pour générer un DPE qui va changer et qui va régler le problème. Le problème, ce sera : quid de l’environnement juridique par rapport à un vendeur ou un acquéreur qui va se sentir lésé, tout simplement par rapport à un diagnostic qui est là pour lever la garantie vices cachés. Aujourd’hui, on sait que ce n’est pas le cas. Quid de l’opposabilité ? Parce que quand on fait une annonce médiatique qui n’est pas suivie par un arrêté, par une loi, ça n’a aucun sens, ça n’a juste aucun poids.

    Eric Nicolier : cet arrêté devrait arriver très, très rapidement… de ce que j’ai compris.

    ” Le bon sens nous pousse à continuer à délivrer les DPE en informant des risques et de l’actualité autour du diagnostic immobilier “

    Denis Mora

    Denis Mora : on devrait voir à la fin de la semaine une modification du mode de calcul qui devrait éclaircir cette position. Mais on est quand même dans une situation où, finalement, depuis le 1er juillet nous sommes dans un no man’s land juridique. Et donc il faut dans ces cas-là faire preuve de bon sens. Il faut accompagner l’acquéreur, il faut accompagner le candidat locataire parce qu’il faut continuer ! On ne peut pas dire qu’il faut suspendre les DPE en cas de transaction et location !

    Eric Nicolier : est ce qu’il y a vraiment des transactions qui ne sont pas dans l’urgence ?

    Denis Mora : le marché est en ce moment en tension. Bien sûr que tout le monde a envie de finaliser ses ventes. Le bon sens nous pousse bien entendu à continuer à délivrer les DPE en informant des risques et de l’actualité autour du diagnostic immobilier.

    Eric Nicolier : alors, concrètement, aujourd’hui, quand on est un agent immobilier, on suspend ou alors on fait quand même le DPE une sorte de DPE provisoire que l’on joint tout de même même à l’avant-contrat, selon vous ?

    Denis Mora : je pense que l’on continue ! Aujourd’hui ce que l’on voit, c’est que les commandes continuent, on a beaucoup de demandes de clients qui nous demandent de continuer les diagnostics immobiliers. Par contre, le devoir de conseil, c’est accompagner la lecture de ce document et notamment de son annexe, en expliquant ce qu’il en est, côté vendeur et côté acquéreur. Ensuite, un agent immobilier aujourd’hui, quand il fait l’estimation du prix de vente d’un bien immobilier, il a rarement le DPE entre les mains et le DPE n’est pas un outil qui lui permet de revoir à la hausse ou à la baisse l’évaluation de son bien.

    Eric Nicolier : donc dans l’attente du 1er novembre il vaut mieux fournir un DPE, ne serait-ce que pour éviter l’absence de DPE dans l’avant-contrat qui prolongerait le délai de rétractation de l’acquéreur au-delà des dix jours ?

    Denis Mora : je pense oui. En tout cas c’est notre posture.

    Eric Nicolier : Et qui est une posture de sagesse juridique !

    Denis Mora : oui c’est une posture de sagesse juridique. Aujourd’hui, on est quand même un métier qui repose sur un matelas réglementaire qui est extrêmement important. On a des opérateurs qui sont certifiés pour pouvoir produire leur prestation et notamment le diagnostic de performance énergétique. Tout cela est voulu par le gouvernement pour sécuriser la qualité des prestations que nous rendons au quotidien. Donc, on ne peut pas arrêter la machine sur une simple déclaration médiatique non maîtrisée de la DHUP. C’est juste pas possible. Et surtout, ce n’est pas audible. Ce n’est pas audible notamment parce que depuis janvier, on voit bien que les choses vont dévisser.

    Eric Nicolier : très bien. Et bien Denis, je vous remercie infiniment pour la clarté de vos propos.

    Denis Mora : merci, au revoir.

    Ce texte est la transcription d’une partie de l’épisode de notre podcast Passion Immo. Il est possible d’écouter